Manger chaud...ou réagir à froid...
Un soir, (il y a quelques temps) j'étais au restaurant avec un ami, et au milieu du plat de résistance je me suis subitement rappelé que j'avais oublié quelque chose...
Puisque que je l'avais oublié, j'avais forcément du mal à m'en rappeler. Cependant, comme il me reste du temps de cerveau disponible que je ne mets pas tout le temps à disposition de Coca Cola et consorts, j'ai pu péniblement me souvenir qu'il s'agissait de quelque chose à la télévision.
Une sorte d'apparition qui nous avait été promise depuis peu à grand renforts d'annonces, sinon alléchantes, du moins péremptoires: "Attention ! ce soir...IL sera là ! IL vous parlera ! A vous français !...ne LE ratez pas !..."
Bref, il devait s'agir d'une personne d'importance, une sorte d'oracle ou de messie, descendu parmi nous, téléspectateurs, pour nous livrer sa bonne parole.
Seul inconvénient, et de taille ! Je n'étais pas à l'heure dite, devant ma télévision ! Hé non ! Vous le savez déjà, je me trouvais au restaurant.
J'aurais pu, si j'avais pu prévoir (mais ce n'est pas dans mon caractère)...acheter un beau portable moyennant espèces trébuchantes et prélèvements sonnants, qui m'aurait pemis de regarder via internet l'Evènement, là, dans la salle du restaurant en snobant mon compagnon de repas.
J'aurais pu, mais j'l'ai pas fait...
J'aurais pu apostropher le patron de la gargote et lui demander séance tenante : "Holà ! mon brave ! apportez-moi donc votre téléviseur que vous devez bien remiser dans un coin et dressez-le moi sur cette table de façon à ce que je goûte à ce programme qui doit être une spécialité !".
J'aurais pu, mais j'l'ai pas fait...
J'aurais pu me lever brusquement renversant verres et couverts sous les yeux ébahis de mon collègue de table et le planter, là, pour héler un taxi sitôt dehors, m'y engouffrer et fouette cocher, rentrer dare-dare chez moi pour m'aplatir devant ma télévision où IL officiait.
J'aurais pu, mais j'l'ai pas fait...
Non, rien de tout cela. J'ai donc simplement fini mon repas en parlant politique et société avec mon coéquipier de table...j'ai pu ainsi goûter à une délicieuse entrecôte tout en me moquant, entre deux verres d'un vin plus que correct, de certains élus un peu trop haut placés.
De là, à me moquer de notre président, le vin aidant...il n'y avait qu'un plat (ah ! ah !).
Ensuite, nous sommes rentrés, mon ami et moi, prendre un café à la maison...la salle du restaurant devenant un peu trop fréquentée, nous avions besoin à cette heure d'une atmosphère plus recueillie et propre à la confidence.
Du café à la table, de la table au salon...nous en sommes arrivés à allumer, un peu par hasard (automatisme quand tu nous tiens !), le récepteur de télévision.
La responsabilité en revient d'ailleurs au collègue qui avachi sur un siège du salon, face au récepteur, et désoeuvré sans doute à ce moment, s'est cru obligé de demander: "je peux allumer la télé ?".
Moi qui étais concentré, à ce moment au fond du couloir, sur le moyen bien naturel, vous en conviendrez, d'éliminer, hélas tous les liquides que j'avais ingurgité au restaurant...moi, je lui ai répondu, machinalement: "Si tu veux, mon neveu !".
(dans ces moments-là, absorbé par ma tâche, j'ai un peu trop tendance à me départir du tact et du bien-parler élémentaires qui me caractérisent.)
Notre ami a donc allumé l'écran et nous avons pu goûter sur France 3 (sûrement un reste d'obédience à l'ordre établi de la part du copain qui est fonctionnaire) à un festival d'imitateurs divers qui imitaient des personnalités diverses et dont le point d'orgue fut un hommage bref, mais hilarant, à notre Président.
C'est à ce moment-là d'ailleurs, que je me suis rappelé qu'il s'agissait de Lui. Oui, vous savez, celui-là qui devait parler à la télé ce soir, l'Oracle dont je parlais tout à l'heure et qui nous avait été pourtant plus qu'annoncé dans la semaine et que j'avais entretemps oublié ! J'avais oublié le Président de tous les français (hum...) et son allocution télévisée !
Ennuyé, presque coupable, mais décidé, j'ai donc pris le contrôle de la situation en m'emparant de la télécommande; ce qui ne fut pas très difficile vu l'état comateux dans lequel mon compagnon s'enfonçait, l'oeil vitreux et le genou bas.
Ni une, ni deux, j'ai changé de chaîne et là, ô miracle ! notre cher petit timonier nous apparaissait comme s'il ne nous avait jamais quitté: la chevelure crantée et les dents affutées. Il était en plein exercice de style et s'employait à justifier tous ses débordements passés, présents et futurs.
Il faut dire d'ailleurs que les trois, comment les qualifier....les trois caballeros ? les trois mousquetaires ? les trois (il faut le dire vite...) journalistes...(va pour Chazal et Trucmuche, mais ce pauvre ventre mou de Denisot, comment le qualifier ?); bref, les trois passeurs de plats étaient à l'écoute du petit excité qui affectait de ne pas l'être mais dont les machoires crispées nous rendaient plus que circonspects.
L'heure était grave, le moment tendu et seuls les ronflements de mon ami détendaient l'atmosphère et prouvaient que certains français ne sont guère sensibles aux paroles présidentielles.
Après quelques minutes où j'ouvrais mes oreilles, je n'allais pas tarder, cependant, moi aussi, à rejoindre la cohorte de tous les spectateurs et des commentateurs déçus par le spectacle.
Ce n'était donc que cela, une rodomontade de plus, la fameuse façon nerveuse et décidée de vous enfoncer ses arguments au fond du crâne...la même proximité un peu crapuleuse entre le copain de régiment et le voisin retord.
Quand au contenu, hélas, des lieux communs du genre : "La France va se relever, la Crise c'est déjà demain, le chômage va désormais baisser et ce dés l'année prochaine...je continuerais la tâche pour laquelle j'ai été élu...les français doivent comprendre que je les ai désormais compris...". Ad nauseam.
Heureusement, moi, j'avais manqué en partie la Messe, le sermon pour le bon peuple, celui à la foi de charbonnier qui vote les yeux fermés.
Quel misérable, ce petit curé qui croit qu'en nous fourguant la même homélie, le même sermon faisandé, (mais attention en changeant de style), nous allons nous mettre à genoux et adorer le même dieu que lui.
Il ferait mieux de faire amende honorable et confesser tous ses beaux mensonges en récitant trois pater et deux Ave.
Pour un homme de dieu, si ! si ! il a parlé du pape d'ailleurs...s'en réclamant, et justifiant certaines de ses actions en fonction de l'assentiment du Saint-Père...
Pour un homme de dieu, je le trouve un peu présomptueux...il a tendance à parler un peu trop de lui à la place de son maître.
Je me demande si je ne vais pas aller plus souvent au restaurant et trouver de quoi bien manger au lieu de boire les paroles du premier officiant venu.
Après tout, ma religion ne me l'interdit pas. Et si je suis excommunié par ce cureton aigrelet au regard qui se veut terrible, sous prétexte que je manque la messe, je m'en tape le coquillard.
Et si l'ambiance s'y prête, dans la salle du restau, je lèverai mon verre en chantant de conserve avec ceux qui voudront:
Il veut dire la messe
Mais il n'a pas un sou d'estime
Pour ses ouailles, il professe
Le mensonge et la dîme
Qu'il aille à confesse
Le petit curé
Il sévit sur le PAF
Qu'il veut réguler
Nous, on lui dit "fais gaffe !
Tes beaux jours sont comptés"
C'est un bon cumulard
Il prépare sa retraite
Il distribue les bons points
Aux apôtres et amis
Ses envies le perdront
Tout cela est petit
Car jouer au plus con
Ne donne pas l' Paradis